L’étoile - Une voie d’eau

Cette image, nous l’avons fabriquée en mobilisant des matériaux oniriques de différente nature.

En premier vient l’iconographie d’une lame de tarot, l’étoile, dans laquelle une femme verse deux cruches d’eau infinie dans une rivière. C’est une image d’une générosité absolue, magique, qui incarne le don continu et sans attente, d’une bonté qui entretient à elle seule le cycle de la vie (son geste, son abnégation, ne semble pas monter le niveau de la rivière ; pourtant, il est possible que sans elle la rivière en elle même ne serait plus qu’un lit aride.)

C’est une image qui évoque un temps où la ressource n’était pas une question ; où le monde était notre maison, et son abondance à cueillir. C’est une image qui propose une puissance du soin invisible, de la transmission, l’abnégation patiente, offerte et vulnérable.

En le décalant simplement, il est possible d’en actualiser radicalement la portée.

Trois étudiants reprennent le geste de la 17eme lame du Tarot, dans une gorge de l’arrière pays Niçois, et s’inscrivent dans une continuité des monuments classiques (les femmes à cruches peuplent nos places publiques). Au geste esseulé de l’étoile se substitue une chaîne, un groupe amicale, de trois vies croisées : les trajectoires personnelles d’Ahmed, Nadia et Amal, lient les rives de la Méditerranée.

Ce geste me semble aujourd’hui d’une ambiguïté narrative folle, d’un grande polysémie :
Suspendu par l’arrêt sur image, on ne sait si l’on offre ou si l’on puise, si l’on verse ou écope, si l’on combat la perte ou la montée, si l’on transmet ou reçoit. Comme les ruisseaux charrient tous les sels à la mer, ils mêlent de leurs gestes toutes leurs eaux. Ces cruches singulières, nous les appelons ici « Gargoulette », mais leur forme existe dans tout le pourtour méditerranéen, partout où la fraîcheur et l’eau sont précieuses, et ce depuis des siècles - comme les personnes, comme les mythes, les formes voyagent, et les inventions, contagieuses, se transmettent au fil des rencontres et des alliances commerciales.

Dans une région où bien des lits sont secs, ce geste commun pose la question du soin et de l’urgence écologique, et formule l’idée de la « petite part », dans ce qu’elle a de vain et pourtant d’indispensable.

D’où vient l’eau? Quelles rives salent la mer?
Il y a ici plus qu’ailleurs, un berceau philosophique et iconographique commun, d’une Méditerranée forgée de trajectoires complexes et pourtant unie dans sa matière-eau, sa matière-soleil.

- Rouge Hartley